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mémoire d'établissement

Un cirque permanent au Limpertsberg.

Un cirque permanent au Limpertsberg.

Mémoire d'établissements Horeca

Un cirque permanent au Limpertsberg.

Partie 1

Robert L. Philippart

L’historien Norbert Etringer s’est beaucoup attaché aux variétés et spectacles dans cet immense cirque qui existait en amont du Glacis entre les années 1882 et 1904. Lorsque Fritz Renquin transforma son Café Eldorado en cirque durablement construit et pouvant accueillir quelque 4.000 spectateurs, la ville n’en compte que 16.700 habitants. Le Centre sportif et culturel d’Coque inauguré sous sa forme actuelle propose 8.300 places dans son arène. L’école de cirque Zaltim­banq' Zirkus est logé au 26, Avenue Louis Pasteur – une coïncidence historique – ou rappel d’un lieu de mémoire ?

Pourquoi construire un cirque permanent ?

En fait, le cirque, au XIXe siècle, était encore une discipline jeune et en plein développement. Le cavalier britannique, Philippe Astley, avait lancé l’équitation artistique comme  discipline de divertissement. Il définit le diamètre de 13 m comme étant optimal pour un manège de cirque. En 1770, Astley allait fonder son premier amphithéâtre et développa un programme de variétés avec de la musique, des jongleurs, acrobates et des clowns. Le cirque contemporain était né. En 1782 Astley fit construire un deuxième cirque, cette fois-ci à Paris. Le mouvement fut enclenché : 18 cirques furent construits en bois ou en pierre en Allemagne, d’autres en France, en Belgique. Le Luxembourg allait suivre cet exemple, comme la plupart des cirques itinérants préféraient louer des infrastructures sur place et sous toit sur un site adapté qui leur permettait d’ailleurs de jouer toute l’année. Le recours aux chapiteaux sous forme de tente s’est répandu plus largement à partir des premières années du XXe siècle.

Qui prit l’initiative ?

Du temps de la forteresse, Joseph Renquin exploitait un restaurant à Luxembourg-Bellevue, au Limpertsberg. L’établissement se recommandait pour sa grande salle au premier étage. En 1863, son fils, François, donna cet établissement en location pour reprendre le Café du Nord qu’il rebaptisa en Café du Luxembourg, à la rue Saint-Philippe (Rue Philippe II). Pendant la Schueberfouer, il éleva sa baraque « Grand Café Eldorado » sur le champ de la foire en amont de l’actuelle Allée Scheffer. Suite au départ de la garnison en septembre 1867, Renquin allait vendre sa propriété à Bellevue en décembre de cette même année. L’architecte de la ville, Jean-François Eydt dressa en 1868 un premier plan d’urbanisation du Limpertsberg en prévoyant l’élargissement des trois voies existantes (les futures Avenue de la Faïencerie, Avenue Pasteur et Avenue du Bois).  En mars 1869, Fritz Renquin, investit la recette faite sur ses immeubles à Bellevue pour la construction d’un immeuble à  la future avenue Louis Pasteur. Le Café Renquin, construit en pierre – le rayon militaire avec ses constructions amovibles ayant disparu cernait le champ de la foire à l’est en direction de cette voie. A partir de 1874 l’avenue Pasteur était prolongée jusqu’au rond-point, ce qui valorisait l’emplacement de l’établissement de Renquin.  En 1878, Fritz Renquin ouvrit un second établissement avec salle de théâtre avec scène et coulisses : le Thalia-Theater à l’avenue du Prince Henri, proche du théâtre de la Ville et de la Villa Louvigny, haut-lieu du monde des spectacles. En 1893 Renquin vendait le Thalia avec ses dépendances à Alphonse Worms, négociant en chevaux, qui  transforma les locaux en écuries pour ses chevaux. Renquin investit la somme récupérée dans la construction de son Apollo-Theater avec 1200 places au coin rue de Strasbourg et place de la Gare. 

cirque

Un cirque de premier rang

Lors de la construction du Café Renquin en amont du Glacis, Renquin s’était heurté à deux contraintes : il dut observer une distance de 13 m par rapport à la future Avenue Louis Pasteur et il était redevable du versement d’une taxe communale pour l’exploitation d’un terrain privé réservé à la tenue de marchés, dont  la tenue de la Schueberfouer. Cette situation explique d’ailleurs pourquoi les propriétaires de ces terrains cherchaient à faire déplacer à partir de 1894 les forains sur le terrain public que forme le Glacis. Ce terrain en provenance des anciens domaines de la forteresse appartenait désormais à l’Etat. Leurs terrains pouvaient être construits et étaient libérés du paiement de cette taxe foraine.

Fin 1885, Renquin prit la décision d’adjoindre à son Café un bâtiment de cirque, qui était prêt pour l’ouverture de la Schueberfouer 1886. Le rédacteur du journal « L’Indépendance luxembourgeoise » avait jeté un regard à l’intérieur avant son ouverture : « il peut abriter un nombreux public et les sièges sont arrangés de manière à ce que pas un seul spectateur ne puisse se plaindre de ne pas voir. La solidité de la construction ne laisse rien à désirer, sous aucun rapport. De cette manière, le public n’aura rien à craindre de l’intempérie, et trouvera à se placer bien plus confortablement que dans les cirques à tente mobile. Le gaz est établi, de manière à pouvoir éclairer l’intérieur de jour. Quant à la solidité du bâtiment, celui-ci a fait sa preuve pendant l’ouragan du 10 août ». Le bâtiment eut plus de 40 m en diamètre et pouvait accueillir jusqu’à 4.000 personnes. Les sous-gradins où prenaient place les spectateurs servaient de écuries. L’entrée principale donna sur le champ de la foire. En face de la porte, en direction de l’ Avenue Louis Pasteur, se trouvaient le buffet et l’orchestre. Le plan avait été dressé par un homme du métier M W(erveke) : il avait été soumis à l’examen de l’architecte de la ville, Antoine Luja et les plans avaient été approuvés le 2 mars 1886 par le Conseil communal. Les travaux de construction avaient été surveillés par l’architecte de la ville. Le bâtiment répondant aux exigences « d’un grand cirque de premier rang » était éclairé de 300 becs à gaz. Déjà en 1887, Renquin procéda à l’agrandissement et à la construction de nouvelles écuries pour répondre aux besoins des grands cirques qui prenaient location chez lui.

Or, le site  connut aussi des désagréments : à partir du Rond-point Schuman, l’accès laissait fortement à désirer : en absence de trottoir, les mares de pluie étaient partout, l’éclairage public insuffisant. Le lieu  fut ressenti comme « désert » et « il faut un certain courage, surtout de la part des dames, pour se risquer hors la Ville, le soir, par ce temps d’averses et de fange dans la rue » (L’Indépendance luxembourgeoise 26 septembre 1886). La fréquentation simultanée d’un grand nombre de spectateurs releva un certain nombre de faiblesses de la construction : en cas d’incendie, les portes de sortie s’ouvraient vers l’intérieur, bloquant ainsi la sortie aux victimes, les lampes à gaz étaient trop proches de matériaux inflammables. L’architecte de la ville avait rédigé trois rapports sur les dispositions à prendre, mais Renquin ne se montrait pas enclin d’y remédier de suite.

Fin et liquidation

Un autre avatar allait conduire à la fin de succès : la pression des propriétaires sur la ville de déplacer la Schueberfouer de leurs parcelles sur le Glacis. Le transfert de la Schueberfouer sur cette place en 1894 mit le cirque Renquin encore plus à l’écart. Renquin n’ignorait pas le plan général d’alignement avec tableau d’emprises pour l’ensemble du Limpertsberg. En 1893, il chercha vainement à vendre ses propriétés pour recentrer ses activités sur l’Apollo-Theater à la gare. Le plan d’aménagement d’Antoine Luja fut présenté officiellement en 1894 et entrait en vigueur en 1897 avec autorisation pour la Ville de procéder par expropriations. A défaut de trouver un acquéreur dans un contexte si difficile, Renquin continua d’exploiter son cirque près du Glacis. La Ville augmentait sa pression sur l’exploitant quant aux mesures de sécurité à prendre. Renquin se concentrait sur ses affaires à la gare, fut lié à des rixes et subit plusieurs citations en justice. Déjà veuf depuis 1889, sa fille, dans un excès de fièvre se suicida à l’hôpital le 27 juillet 1898. Le 16 septembre suivant, le tribunal de commerce prononça la faillite de ses affaires. Le 2 mars 1899, toutes ses propriétés furent mises en adjudication publique : l’Apollo-Theater à la rue de Strasbourg, une maison avec écuries, remise et champ avec carrière à l’avenue Pasteur, le cirque avec dépendances et écuries et  les parcelles attenantes, l’ensemble d’une contenance de 84 a 95 ca . L’acquéreur du cirque avait été Gustave Serta (1866-1940), architecte ingénieur qui allait remporter ultérieurement  le 1er prix pour la construction pour l’Ecole de Commerce et d’Industrie et assurer la transformation de l’ancien couvent des dominicains en hôpital Saint-François (Marché-aux-Poissons) . Serta allait lotir l’ensemble des terrains acquis sur Renquin, de façon que l’actuelle rue Alfred de Musset, jouxtant ces propriétés portait jusqu’en 1925 le nom de rue Serta.

Le Café Renquin « beim Renquie » passait à Joseph Huber y installait une manufacture de tabacs et de cigares qui allait être  reprise par celle de Duren-Warkin en 1910 (35 et 35 a Av Pasteur). L’ immeuble allait servir ultérieurement de magasin de meubles Funck-Bauer qui périt en 1937 dans un incendie. L’ancien Café Renquin présentait au rez-de-chaussée deux salles pour concerts et 12 chambres aux étages.

L’Apollo-Theater était vendu  à l’entrepreneur Michel Betz qui cédait l’exploitation de  l’établissement en 1900 à Adolphe Amberg qui y installa le Casino de la Gare.

Gustave Serta continuait à exploiter le cirque Renquin, par voie de location à Adolphe Amberg, jusqu’en avril 1904. Sans doute attendait-il des décisions concrètes de la Ville de Luxembourg sur la mise en œuvre du plan d’aménagement du quartier qu’avait dressé entretemps l’urbaniste allemand Joseph Stübben.

La démolition  du cirque Renquin fut saluée comme initiative heureuse :  « Eine totale Umänderung wird mit dem nächsten Frühjahr hier in der Mühlenbach-Avenue (Avenue Louis Pasteur) vor sich gehen. Der grosse steinerne Cirkus (sic) Renquin mit dem ganzen Gebäudekomplex wird abgerissen und das Terrain zu Bauplätzen angelegt werden. So wird die Ausführung dieses Planes nicht nur zur Verschönerung unseres Plateaux beitragen, sondern auch verschiedene Missstände werden hierdurch endgültig beseitigt werden“. (Bürger-und Beamtenzeitung 13.02.1904).  En 1925, lors de travaux de terrassement, on découvrit une plaque émaillée comportant l’inscription « Tribüne 2 ».

cierque

Un cirque permanent au Limpertsberg.

Partie 2

Robert L. Philippart

L’historien Norbert Etringer s’est beaucoup attaché aux variétés et spectacles dans cet immense cirque qui existait en amont du Glacis entre les années 1882 et 1904. Lorsque Fritz Renquin transforma son Café Eldorado en cirque durablement construit et pouvant accueillir quelque 4.000 spectateurs, la ville n’en compte que 16.700 habitants. Le Centre sportif et culturel d’Coque inauguré sous sa forme actuelle propose 8.300 places dans son arène. L’école de cirque Zal­tim­banq' Zirkus est logé au 26, Avenue Louis Pasteur – une coïncidence historique – ou rappel d’un lieu de mémoire ?

Même si le Cirque Renquin avait été déclaré en faillite, l’établissement connut de beaux jours avec un loyer annuel perçu de 5.000 francs touchés par les différentes troupes de passage. Gustave Serta avait donné le cirque en location à l’aubergiste Adolphe Amberg. Cette somme équivalait au triple salaire d’un maître sculpteur à la même époque, respectivement au traitement d’un haut fonctionnaire, avec la grande différence que l’entrepreneur est hautement exposé au risque de ses affaires.

Lieu culturel

Du point de vue culturel, le Cirque Renquin  « d’une construction aussi élégante que confortable (qui) répond aux exigences d’un cirque de premier rang » (L’Indépendance luxembourgeoise 29/01/1888) était le rendez-vous par excellence pour les variétés. Par les capacités qu’offrait l’infrastructure, au niveau des artistes que des spectateurs, l’établissement fut unique au pays.

En 1899, on notait le passage du Cirque Otto Mark fondé en 1886 et qui fit même des tournées en Amérique du Sud. Le spectacle offrait « eine grosse Schar auserlesener Künstler, ein vorzügliches Ballettkorps und einer grosse Anzahl edler Schul-und-Freiheitspferde“. Le cirque Piège de Rouen était en tournée à l’occasion de la Schueberfouer en 1894 avec 100 artistes et 90 chevaux. Parmi les grands cirques de passage on comptait également celui de A. Schuman de Francfort en 1896, respectivement du Zirkus A. Althoff en provenance de la même ville. En 1903, le dernier cirque de passage au Renquin fut le Cirque Robert en provenance des Pays-Bas. Il se produisait avec 30 artistes et 25 chevaux. Le magicien Jean Beckerelli (1860- 1933) comptait parmi les artistes les plus renommés, tout comme Senor Arbaff, magicien au Théatre Mystérieux du Colysée Royal de Lisbonne, tous deux de passage au cirque Renquin.

Au niveau plus littéraire, le cirque offrait sa scène à l’ »Union dramatique » au « Théâtre Simon ». Il accueillit M. Montpreux, directeur de Bobino-music-hall à Paris.  En 1893, la chorale « La Légia » y chantait « Ons Hémecht » en traduction française. Outre le « japanese musical arte » ou l’exposition en 1895 d’un orgue avec 48 instruments, les spectateurs découvraient le chœur « Royale Emulation » avec 150 exécutants, les concerts de la Société Philharmonique », ou encore le ténor Luigi Ravelli (1845-1896), renommé connu des scènes d’opéra de Londres et de New York.  La cantatrice Senora Izabel du Colysée de Lisbonne, Fritz Lepage, premier prix du conservatoire royal de Bruxelles et surtout la chorale « Les disciples de Gétry » de Liège et la « Royale Emulation » (Verviers) assuraient des prestations inégalées.  En 1901, l’Union dramatique y produit la revue satirique « Letzebuerger Flautereien ». Lors du concours international de chant, en1901, les « Amateurs de Huy », « L’Orphéon » (Petit-Rechain /Verviers) et « les Enfants de Luxembourg » se firent accompagner par l’orchestre militaire luxembourgeois sous la direction du célèbre « Hofkapellmeister » Edmund Patzké. Le « Tempel der Tonkunst » connut son paroxysme avec la représentation de la cantate « Liebesmahl der Apostel » de Richard Wagner.

Lieu sportif

Sur le plan sportif, John Grun (Herkul Grun) (1868-1912), l’homme le plus fort du monde, natif de Mondorf-les-Bains assurait régulièrement des spectacles complets. Les matchs de catch furent hautement appréciés. En 1897, la grande fête nationale de gymnastique eut lieu au cirque Renquin. A cette fête participaient les sociétés de gymnastique du Grand-Duché et les sociétés de musique, de chant ainsi que des pompiers de la capitale et de ses environs. La société d’escrime et de gymnastique et la compagnie gymnique, acrobatique et fantaisiste se produisaient avec 54 artistes au cirque Renquin. L’Harmonie de l’établissement de champagne Mercier à Luxembourg-Gare accompagnait en 1903 les jeux populaires organisés par Luxembourg Attractions, l’ancêtre du Luxembourg City Tourist Office.

Fête papale

En mars 1903 l’évêché de Luxembourg avait organisé des fêtes majestueuses pour célébrer le pontificat du pape Léon XIII. Y assistaient outre une foule immense de fidèles, le nonce apostolique ainsi que la Grande-Duchesse héritière Marie-Anne de Bragance.

Soutien à la bienfaisance

Renquin n’était pas uniquement homme d’affaires, il soutenait également la bienfaisance en organisant en 1887 un concert au bénéfice des colonies de vacances en coopération avec l’orchestre militaire. En 1889, il proposait deux concerts de bienfaisance en coopération « der hiesigen Musik-und Gesangvereine » pour venir au secours des sinistrés des explosions au port d’Anvers. En 1890, il offrait un spectacle gratuit aux dames. « Un cavalier muni d’un billet aura droit d’être accompagné d’une dame. Deux dames ensembles ne paieront qu’une seule place »(L’Indépendance luxembourgeoise 7/10/1890).  En 1897, Renquin organisait un autre concert de bienfaisance, cette fois-ci en coopération avec l’association musicale « Concordia ». L’année suivante, il invitait gratuitement les personnes âgées de l’hospice civil ainsi que les orphelins à une séance gratuite de cirque. Il offrait à la « Royale Harmonie de Frameries » à se produire en 1898 sur sa scène. Ces musiciens furent des ouvriers qui avaient revêtu la blouse de leur métier pour se donner en spectacle. Cette valorisation sociale connut cependant le blâme d’un public qui brillait par son absence.

Lieu de vente de bétail

Les magnifiques écuries et la scène se prêtaient encore pour des ventes aux enchères de bestiaux, surtout en 1891. Les vendeurs n’étaient pas exclusivement des marchands privés, mais également le Gouvernement ou encore la Cour grand-ducale.

Soirée électorale

En 1893, une « Wähler-Versammlung » avait fait salle comble, peut-être aussi en raison du bal populaire qui suivait l’événement « Uberaus zahlreiches Publikum : die Damenwelt besonders ist stark vertreten, da nach der Erörterung der ernsten Tages ein grandioser Ball als Erholung gestellt ist. Regierung, Klerus und die behördlichen Spitzen sitzen Sperrsitz, das gemeine Publikum vertheilt sich mit Kind und Kegel in die minderwertigen Plätze. Die verdienstvolle Kapelle des Cercle Musical (…) okkupiert die Emporbühne“ (De Lëtzeburger 4/06/1893)

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Historique